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La continuité : un exemple dans l’enseignement spécialisé

13.05.2020

Jana Hoznour avatar. Jana Hoznour

Introduction 
Mon stage de 1ère année (semestres automne et printemps) a été validé ainsi que le cours d’intégration (semestres automne et printemps).
 
Je n’enseigne actuellement pas dans un collège ordinaire, mais dans une fondation qui est prestataire de pédagogie spécialisée. 
Les classes dans notre école ne sont pas formées par degrés scolaires mais par compétences et capacités. Nous avons dans nos classes des élèves enclassés entre la 9H et la 11H. 
J’enseigne dans deux classes différentes. La première classe est une classe de 8 élèves qui sont lecteurs ou presque lecteurs, mais qui ont des difficultés à comprendre ce qu’ils lisent. De ce fait, leur autonomie peut être restreinte. Ils ont entre 12 et 15 ans et leurs niveaux scolaires se situent entre la 3P et la 4P ; le niveau dépend des matières. Dans cette classe, j’enseigne en plus d’autres matières, l’histoire à raison de 1-2h par semaine et sous des formes très variables. 
La seconde classe dans laquelle j’enseigne est une classe de 9 élèves qui ne sont pas ou très peu lecteurs. Leur autonomie est ainsi très restreinte et leurs niveaux scolaires varient entre la 1P et la 3P selon les matières. Dans cette classe, j’enseigne l’histoire, en plus d’autres matières, à raison d’environ 1h par semaine sous des formes variables.
 
Le programme d’histoire que je travaille avec eux est lié à la ligne du temps ; j’essaie de leur faire découvrir des événements, des manières de fonctionner et de vivre à diverses époques, toujours du plus ancien au plus récent, souvent avec l’idée « comment se passaient les choses avant que je naisse ? ». 
 
Ils se souviennent partiellement de ce qui a été vu, certaines choses les marquent plus que d’autres, mais il est très difficile pour ces élèves de lier ces événements à l’espace-temps car ils n’ont pas cette notion d’antériorité (par exemple : « il y a 300 ans » et « il y a une semaine » ne leur évoque rien). Le but de l’enseignement n’est ainsi pas de leur faire apprendre une chronologie ou des faits précis mais de leur faire comprendre que les gens vivaient avant leurs naissances et celles de leurs parents, et leur montrer de quelle manière (sans électricité, sans bus, sans voitures, sans internet, sans télé…) toujours en lien avec leur quotidien. 
 
J’ai en revanche enseigné 8 ans au dans un collège ordinaire lausannois dans des classes de degrés 9H à 11H, principalement en VG en ce qui concerne l’histoire. J’ai pu garder ma dernière classe principale de la 9ème à la 11ème. C’est très rare en CDD de pouvoir avoir un suivi de la sorte et j’en ai été très heureuse et j’en garde des souvenirs incroyables. Je suis d’ailleurs toujours en contact avec ces élèves et c’est un réel plaisir de les voir évoluer dans leurs vies.
 
Anticipation
Nous avons dû dans un premier temps attendre les décisions de l’Etat et de notre direction. Le fait de travailler en contexte spécialisé implique d’autres soucis car les liens humains malmenés peuvent être encore plus problématiques que dans l’ordinaire. Nos élèves sont fragiles et il fallait trouver un moyen de ne pas les bousculer dans leur vie privée. L’autre souci relevé par notre direction est l’équité de traitement ; nos élèves n’ont pas tous le même niveau scolaire, les mêmes capacités cognitives et/ou motrices et surtout pas le même entourage familial. Ce dernier point a suscité plusieurs questionnements car ce qui serait proposé devait pouvoir être fait par chacun de nos élèves, qu’il ait une imprimante, des cartouches et du papier (et des parents ayant les moyens d’en acheter) voir un ordinateur.
 
Décisions et compétences
La première décision amenée par notre direction a été de demander de ne pas couper les liens sociaux. Nous avons une politique assez stricte concernant les numéros de téléphones privés et les emails qui est de ne pas les donner aux parents car chaque classe possède son téléphone interne. De ce fait, il a été décidé de faire parvenir aux élèves un courrier hebdomadaire par la poste. Ainsi, le lien est maintenu et ils peuvent lire la lettre, essayer de comprendre les informations et les messages. Le souci suivant était de leur donner les moyens de nous répondre. A situation exceptionnelle, mesures exceptionnelles… Nous avons décidé (certains d’entre nous en tous cas) de donner aux élèves nos adresses email professionnelles afin qu’ils puissent tenter de nous joindre. 
Durant l’année, nous intégrons les outils informatiques au travers de logiciels mais également au travers des divers moyens de communication que fournit internet. Ils ont tous acquis les compétences permettant de se connecter à leur email et de répondre à quelqu’un. Nous n’avions plus qu’à espérer qu’ils se souviendraient comment.
 
La direction nous a ensuite fourni une deuxième option. En semaine 2 du confinement, a été mise en place une plateforme liée au site internet de notre fondation sur laquelle la responsable informatique intégrerait chaque semaine des activités (scolaires et moins scolaires). Ces activités seraient classées par niveau scolaire et âge, et il y aurait aussi chaque semaine une activité pour nos élèves non-lecteurs.

 
Afin qu’aucun élève ne soit prétérité, la lettre aux parents expliquait bien que les activités étaient facultatives et que la plateforme était destinée à soutenir les parents qui en ressentaient le besoin. Il faut se rendre compte que gérer un enfant présentant des troubles du spectre autistique est énergivore et complexe, lui amener des activités pédagogiques dans un contexte qu’il a identifié comme non-scolaire est une tâche ardue et peut anéantir tout ce qui a été mis en place dans les deux mondes (privé et scolaire). 
 
Pédagogie et rôle de l’enseignant
D’un point de vue pédagogique, il a été décidé de rester sur des notions déjà vues et de proposer des activités qui permettent de consolider les acquis ou ce qui est en cours d’acquisition. De ce fait, chaque enseignant a proposé des activités que ses propres élèves pouvaient faire. Chaque élève peut ainsi retrouver la bulle familière de sa classe en cliquant sur le nom de la structure correspondante mais peut aussi s’il le désire aller télécharger des activités proposées par d’autres structures.

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Il a fallu ainsi trouver des idées d’activités liées aux diverses matières scolaires, mais qui seraient amenées de manière plus ludique. Il était également nécessaire que les activités puissent être faites sans un matériel incroyable et aussi sans nécessairement passer par l’imprimante que tout le monde ne possède pas. Toutefois, sur demande des parents les activités hebdomadaires pouvaient aussi être imprimées par la direction et envoyées aux familles ne possédant pas les moyens technologiques suffisants. 
 
Le rôle de l’enseignant dans notre cas est de connaître les capacités, compétences, acquis et disposition psychologique de chacun de ses élèves afin de proposer les activités qui leur feraient plaisir et qu’ils auraient envie de faire. 
 
Planification 
Chaque mercredi, les activités sont envoyées au responsable de structure selon les canevas fournis (afin de faciliter et homogénéiser la présentation sur le site internet). J’ignore si j’ai l’autorisation de proposer des images de nos documents et de ce fait je me limite à des captures d’écran assez neutres.
 
Objectifs principaux de la continuité pédagogique
Les objectifs principaux du courrier hebdomadaire et de la plateforme d’activité sont de maintenir les liens, tant avec les élèves que les parents, et de permettre aux élèves de continuer à utiliser les compétences qui ont été mises en place jusqu’à l’arrêt de l’école en mars. 
Il n’y a pas de planning imposé aux élèves. J’ai un élève qui m’écrit régulièrement par email ; il me raconte ses soucis, les problèmes qu’il rencontre avec des camarades qui n’étaient pas sympas, les films qu’il a vu et son désarroi face à cette situation qui l’empêche de voir son père (parents divorcés) et le reste de sa famille. Je continue ainsi à mettre des balises aux comportements sociaux, rappeler la manière de se comporter avec des camarades, des parents fatigués etc. 
Cela peut paraître dérisoire par rapport à l’enseignement ordinaire où les objectifs du PER sont très présents, mais nous avons chacun nos élèves et notre vécu. 
 
Supports d’activités
Les supports sont homogènes et consistent en deux documents par activité :
-         Le premier document qui spécifie le cycle, l’âge, le titre de l’activité, le déroulement de celle-ci, les consignes et le matériel nécessaire ainsi que l’éventuel besoin d’un adulte.
-         Le second document est une annexe sur laquelle figurent le reste, les schémas, les chablons, les rappels scolaires…
Tout cela est donc envoyé à la direction et mis en ligne sur la plateforme. Le nom des documents est homogénéisé aussi afin de rendre la mise en ligne plus aisée.
 
 
Evaluer les effets de l’enseignement à distance
Il est pour l’instant impossible d’évaluer des effets. Les seuls retours que l’on a sont très positifs et les parents sont heureux d’avoir une plateforme de type boîte à idée afin de ponctuer leur quotidien d’activités plus ou moins scolaires. Certains élèves ont des parents très présents sur le plan scolaire ce qui est réconfortant, d’autres des parents très présents qui ont eux-mêmes leurs limites. Cette situation est très complexe de ce point de vue-là mais je pense que notre plateforme pallie ceci assez sympathiquement, de même que l’offre d’envoyer par la poste les activités aux familles ne possédant pas de ressources technologiques ou financières.
 
Éducation aux médias 
D’une manière générale, ce volet est enseigné en classe en temps normal. Nos élèves sont souvent peu lecteurs voire pas lecteurs ; ils sont sensibles aux images qui pour certains sont leur seule porte d’accès au monde qui les entoure. 
Pour mes élèves il est compliqué de se rendre compte de ce qu’ils voient, leurs notions du vrai et du faux, et leur capacité critique sont restreintes. Il faut faire très attention à la manière dont les choses sont amenées. 
 
Respect des droits d’auteurs et/ou le droit à l’image.
Les activités proposées respectent les législations et dans les cas où le droit à l’image serait un souci, nous re-filmons, re-photographions les activités nous-mêmes. Comme de plus il est parfois nécessaire de séquencer différemment nous devons reproduire les activités avant de les faire faire par nos élèves.
 
Prise en compte des élèves à besoins particuliers 
Bien que nous soyons en contexte spécialisé, nous avons aussi nos élèves à besoins particuliers :
-         Ceux qui ont besoin d’un ipad pour écrire (dicter et voir le texte reproduit) ou lire (photographier le texte et l’entendre par l’application adéquate).
-         Ceux qui ne savent pas lire et qui ne sont pas encore autonomes avec leur tablette.
-         Les élèves à motricité réduite et qui auraient ainsi besoin des parents pour des activités manuelles.
-         Ceux qui lisent des syllabes et qui ont besoin que les phrases de consignes sont découpées et coloriées selon les codes utilisés en classe.
-         Ceux un peu plus autonomes, qui n’ont pas d’Ipad, mais qui ont besoin d’images illustrant les verbes d’activités (ils peuvent ainsi tenter de faire des activités seuls).
-         …
 
Conclusion
Cette situation exceptionnelle nous a permis de mettre en commun une grande quantité de savoirs et d’idées. La plateforme est un outil que nous, enseignants, aimerions conserver afin de pouvoir partager nos idées et nos manières de fonctionner dans les diverses structures.
Nous verrons lors du retour en présentiel ce que les élèves eux-mêmes en ont pensé !