Enseigner avec la VMC

Mes élèves sont des profs!

10.10.2019

Philippe Ruffieux avatar. Philippe Ruffieux

Description

Je vous présente ici une bribe d'expérience avec une classe avec laquelle j'ai essayé la VMC d'une manière différente.
Au lieu de créer les contenus d'apprentissage et de laisser la partie de validation aux élèves, la communauté était vide et ce sont eux qui devaient tout créer.

Nous voici octobre 2019. La classe a terminé sa scolarité en juin avec cette communauté. Pris dans mes observations d'autres classes, j'ai un peu délaissé cet article. Ça me désole, car l'expérience fut enrichissante et il aurait été intéressant de poursuivre son histoire ici. Qu'à cela ne tienne. Je vais dès aujourd'hui repartir sur un suivi plus… suivi 😉 de ma nouvelle classe.
J'étais parti avec l'idée de décrire quelques leçons que vous trouverez en l'état, mais je n'ai pu continuer. Je publie tout de même ce qui avait été initié.

Si je devais résumer l'expérience de cette communauté construite complètement par les élèves, c'est que:
- Ils ont pu s'emparer complètement du dispositif et de la matière. Au niveau du sentiment d'efficacité personnel et de la relation, ce fut une vrai réussite. Ils sont entrés avec beaucoup de bonne volonté (alors qu'ils ne sont pas scolaires et qu'ils se sentent très incompétents en maths).
- Cette distance m'a donné encore plus de liberté face au programme et à la forme scolaire. J'ai rarement été inquiet par rapport au temps ou aux examens qui arrivaient. D'ailleurs, ils étaient souvent en avance par rapport au programme et leurs résultats n'en sont pas moins bons.
- Il a manqué un petit quelque chose au niveau de l'orchestration. Quelques balises supplémentaires pour structurer tout ça. Les feuilles de missions n'ont pas suffisamment été respectées et le contenu des compétences a parfois manqué d'exigences. Mais peut-être était-ce le prix à payer pour remettre les élèves sur le chemin de l'école.

Préparation

Situation
Au moment où je commence ce compte-rendu, nous sommes déjà début novembre, 9e semaine d'école. Je dois dire que les élève ont vite pris certaines habitudes et ont bien changé leur manière d'apprendre. Oui, il a fallut quelques semaines pour tout transformer, car c'est bien de cela qu'il s'agit. D'une transformation radicale.

La classe
Les élèves concernés sont en 11e année VSG, maths niveau 1. Une classe que j'ai repris en dernière année et qui a un certain passé de friction avec l'école. Je n'ai pas cherché à en savoir plus que les bruits de couloir déjà assez nombreux. Mais je savais que des mesures spéciales avaient été prises l'année précédente pour permettre aux enseignants de faire leur métier correctement. J'avais donc la possibilité de démarrer notre collaboration par une position inflexible ou par une attitude empathique.

La 1re leçon, je suis arrivé avec une proposition. Chers élèves, c'est vous qui allez être des profs. Parce que c'est plus intéressant et utile pour vous d'être actif. La chose fut entendue après une explication assez poussée, bien qu'ils n'aient pas forcément pu tout anticiper. Ils savaient aussi, et c'était notre contrat didactique, qu'ils pourraient en tout temps demander à modifier le dispositif, l'adapter ou revenir à un cours plus classique.

Si les élèves ont la lourde tâche de créer le cours, choisir les exercices, enseigner une compétence, valider leur pairs et se faire valider sur d'autres compétences… donc l'ensemble des tâches d'un enseignant. J'ai la responsabilité de leur donner le cadre et aider leur organisation. Plutôt qu'un chef d'orchestre, je deviens scénariste et réalisateur.

Chaque module est découpé en différents temps de découverte, exercices seul ou en groupe, pour les mener à la création de leur compétence.

Plan mission

En deux semaines, chacun des quatre groupes aura construit une compétence.A la suite de cela, ils vont faire le cours pour présenter à la classe leur compétence, la théorie, un exemple d'exercice. Oui, c'est du frontal, c'est directif.

Les deux semaines suivantes sont consacrée à l'apprentissage des trois compétences que les autres ont préparé.
Ils vont faire les exercices choisis et donnés comme tâche, demander de l'aide et passer les brevets. En parallèle, ils vont aider la classe sur la compétence où ils sont experts, corriger et valider les brevets.

Tout ça est donc complètement différent de ce qu'ils ont toujours fait. Ecouter et surtout… rester tranquilles!
Donc, oui. Ça a pris quelques semaines…
En fait, non. Ça a pris une semaine pour l'acceptation et la compréhension de la part des élèves. Et un peu plus de ma part. Bien que j'aie l'habitude de travailler avec la VMC, leur donner autant d'autonomie et de responsabilités. C'était nouveau aussi pour moi. Et après le 1er module, nous avons fait le point sur ce qui était à améliorer. Lors de cette séance, il a surtout été relevé le besoin des élèves d'être assurés de faire juste. Des brevets et des exercices de ma part ont donc été ajouté pour le 2e module.
Enseignement mutuel 2e module

Lors de ce 2e module, qui concernait des compétences déjà connues, j'ai accéléré le pas. Les élèves ont réagit lorsque j'ai oublié le temps où ils devaient enseigner à la classe. Pour ma part, j'ai aussi modifié la grille d'évaluation qui donnait du poids au rôle d'enseignant ainsi qu'au test final, mais pas assez à la partie exercice. En effet, les élèves se sont concentrés sur la création et la validation en passant un peu vite sur les exercices à faire. Donc, ils passaient très vite aux brevets sur des compétences nouvelles.

Après ces deux modules, je me suis dit qu'il était temps de documenter plus en détail le déroulement d'un module, donc le 3e.

Périodes 1 & 2

Je distribue les groupes, qu'ils discutent un peu, mais estiment finalement acceptables. Je leur donne les quatre compétences et défini un responsable pour chacune. Je leur donne également quelques exercices choisis, surtout pour les compétences qui sont plus fournies dans des manuels d'années précédentes. J'insiste d'ailleurs sur la nécessité d'en faire suffisamment. A l'aide de la feuille de mission, chacun s'organise pour traiter la théorie et quelques exercices qu'ils se partagent.
feuille de mission

Ça roule. J'observe la classe et c'est les élèves qui m'appellent. Aucune remise à l'ordre, si ce n'est pour aider certains à s'organiser. Tout le monde sais ce qu'il a à faire. Tous font des maths dans une ambiance agréable et studieuse.
En une période, un élève refait toutes les symétries et les constructions pour retrouver leur origine.
Un groupe a détaillé la théorie des homothéties et semble avoir bien dégrossi la compréhension générale.
Le 3e groupe qui travaille sur les développements et la visualisation en 3D s'est bien réparti les exercices et un élève sue sur une représentation assez complexe. Il vient et revient vers moi jusqu'à ce qu'il trouve l'ensemble du dessin, alors que ce n'est pas le plus persistant.
Enfin le 4e groupe qui travaille sur les volumes, doit reprendre les formules d'aire qui ne sont pas assimilées. Mais surtout, se retrouve dans différents exercices face à la même difficultés de calculer l'aire d'un prisme droit posé de telle manière que la base n'est pas horizontale. Assez vite, ils comprennent le retournement nécessaire sans que j'aie à donner de multiples explications.
Bon, en une heure de travail effectif (une demi-heure d'organisation était nécessaire), pas mal de travail a été abattu. C'est certes encore très en surface, mais c'était une heure constructive et je sais que je peux faire confiance à ma classe… tiens il faudra quand même que je leur dise 😉

Périodes 3 & 4

Enseigner, c'est faire face aux imprévus. Et contrairement au jour précédent, les élèves n'étaient pas prêts à s'investir.
J'arrive en classe et c'est le drame. Les élèves sont agités et même fâchés. Ils viennent de passer un test de géographie qui s'est mal passé, car d'après eux, il ne correspondait pas à ce qu'ils avaient appris. Un problème d'alignement pédagogique et des conséquences importantes sur leur sentiment d'efficacité. Bras croisés, mine renfrognée pendant un quart d'heure, un élève est à la limite de l'explosion.
Il est alors nécessaire de prendre le temps de rétablir un climat de classe favorable. On prend un moment pour s'exprimer sur les préoccupations. Et tout fini par rentrer dans l'ordre.
Mais si certains élèves ont bien avancés et ont vraiment profité d'une heure productive et collaborative. Je me rends compte que certains élèves perdent trop vite leur attention. Si au niveau de l'ambiance tout est sous contrôle, au niveau implication, une amélioration doit être trouvée. Je pense que le rythme est encore trop peu soutenu et je dois trouver des changements pour raviver l'attention de certains élèves.

Suite et modification

Décidément cette semaine est pleine de surprises! Après dix minutes de travail lors de la leçon suivante, voilà que le directeur intervient pour un problème de dégradation dans les toilettes. On cherchera les coupables pendant presque tout le reste de la leçon.
De plus, comme nous devons coordonner des évaluations communes entre nos deux classes de même niveau (et que je n'ai pas tout à fait respecté l'ordre des compétences), nous tombons d'accord sur un module à terminer avant Noël. J'en parle aux élèves et nous modifions notre programme. Nous abandonnons momentanément le module que nous reprendrons après cela.