Enseigner avec la VMC

Une année en VMC avec ma classe ep-01

26.10.2019

Philippe Ruffieux avatar. Philippe Ruffieux

2019.10.10

Pourquoi cette série d'articles?
Nous sommes à quelques jours de vacances. Déjà sept semaines ont passé! La tête dans le guidon pour coucher sur le "papier" l'imposée revue de littérature et la méthodologie de ma thèse qui devrait se terminer dans l'année (scolaire), j'ai été moins actif dans d'autres domaines. J'ai limité mes interventions et ma présence à l'école et à la HEP, délaissé les réseaux sociaux, les loisirs et même ma famille (ma fille fait le tour de monde, et ma femme fait la GE -gentille relectrice- de mes lourdeurs littéraires). Bref, une période entre parenthèses.

Mais je n'ai pas délaissé mes élèves. Parce qu'ils n'ont rien demandé, je pourrais dire. Mais aussi parce que cette nouvelle mission me ravit! Des conditions idéales sur le "papier" (ah encore ce papier virtuel). Je termine avec une classe que je n'ai eue que pour la dernière année. C'est trop peu pour construire une relation de confiance et de vraies habitudes de travail telles que je les entends. Là, je reprends une classe de 9e que la logique devrait maintenir jusqu'en 11e. Trois années qui sont autant de possibilités de construire quelque chose.
J'ai du temps et je vais en profiter. Le pire ennemi du prof consciencieux est de se faire happer par la forme scolaire ; surtout de s'inquiéter s'il aura le temps. Le temps de finir le programme, de faire apprendre aux élèves tout ce qu'il y a dans la méthode dont les exercices qu'ils ne font pas à la maison parce qu'ils n’ont pas compris et qu'ils ont oubliés lors du test et qu'il faut reprendre vite pour ne pas perdre l'avancée du programme sinon ils ne seront jamais prêts pour les examens et pis et pis (on y perd son souffle hein?).
Donc. Je vais prendre le temps. On va prendre le temps.

Et puis, après pas loin de 20 ans d'enseignement et presque autant avec ce type d'apprentissage, de moments "Waouh", mais aussi des retours insidieux à la routine et des moments de douces folies expérimentales,  je commence à savoir comment diriger la barque.
Mais entre ce que je propose dans les supports et ateliers que j'ai l'occasion de mener, ou que j'explique lors de rencontres avec les collègues, j'éprouve toujours une certaine difficulté donner les clefs pour que chacun puisse adapter le système à son contexte.
Une expérience vicariante n'est-elle pas plus parlante? J'aimerais beaucoup filmer ma classe. Mais cela poserait des problèmes de droits difficiles à surmonter (mais je n'abandonne pas l'idée). Et un journal de bord n'est-il pas le premier outil réflexif qui me permettra en premier lieu d'en produire une synthèse?
Alors j'ai décidé, avec quelques semaines de retard, de tenir un tel document pour garder des traces. A l'avenir, avec un article par semaine.

Les 7 premières semaines

Semaine 1
Je démarre avec une nouvelle classe. Et je dois dire que j'en suis ravi. En effet, l'année passée, j'ai dû reprendre une classe pour sa dernière année et je trouve que c'est trop court pour engager des changements de pratiques et surtout de créer la relation avec la classe. En reprenant une 9e année que je devrais garder pour trois ans, je peux prendre le temps de poser les bases et de projeter une collaboration sur la durée.
D'ailleurs, les quatre périodes de la première semaine, les élèves n'ont réalisé qu'un seul exercice. Le premier cours, j'ai pris le temps de nous présenter, de savoir qui étaient mes élèves de leur communiquer ma vision de l'apprentissage… actif et de la validation mutuelle des compétences. Sans surprise, dans une classe de niveau 1 (les plus faibles en maths), une petite moitié a déclaré qu'elle n'aimait pas vraiment les maths. Je sais bien que s'ils ne se sentent pas compétents, ils ne peuvent pas apprécier la matière. De plus, je suis convaincu qu'en étant impliquée dans le processus, une partie va pouvoir changer d'avis. De mon côté, je leur ai transmis mes attentes et "proposé" la méthode de travail. J'ai donc insisté sur ce qui était important pour moi, soit:
1) que la classe devienne un groupe soudé, car on réussit (ou échoue) ensemble. J'y ai été de ma petite citation:
Se réunir est un début ; Rester ensemble est un progrès ; Travailler ensemble est la réussite.
Henri Ford
2) une seule règle à respecter (c'est plus simple). Soit de chuchoter lorsqu'ils communiquent ; bien que la communication soit encouragée.

Le deuxième cours (sur deux périodes) a été dévolu à la connexion et les premiers pas sur Sqily. Il faut en effet du temps pour que des élèves de 12 ans environ puissent déjà demander une invitation, accéder à leur email et suivre la procédure pour rejoindre la communauté préparée.
L'arbre de la communauté pour le premier bloc
Les élèves avaient une première compétence pour "s'approprier les fonctions de Sqily". Ils découvraient le fonctionnement des divers éléments, la charte d'utilisation, complétaient leur profil et… écrivaient tout plein de messages dans le fil de discussion. C'est l'occasion de faire le point sur la charte et de parler un peu d'éducation aux médias. De ce qu'ils peuvent écrire, des incidences auprès du groupe et des possibilités que j'ai pour éventuellement demander à voir leurs conversations privées. Donc, un rappel que Sqily est un outil de travail scolaire, même si je tolère certaines expressions, comme à l'oral. Cette découverte (avec tout le reste de l'activité) les met dans de bonnes dispositions.
Nous sommes déjà jeudi, lorsque pendant le 3e cours, après avoir fait quelques rappels, nous pouvons passer à l'apprentissage des mathématiques. Nous réalisons un exercice sur la priorité des opérations. Là encore, il faudra presque la période pour poser les bonnes procédures qu'ils n'ont pas, soit écrire le calcul en entier, que le = est une égalité qui doit avoir deux termes identiques de chaque côté et que le fois s'écrit • et non x. Il faudra du temps pour que finalement (après 5 semaines), l'entier de la classe arrête d'écrire des réponses n'importe où sur ou sous le calcul de départ.
Voilà donc une semaine qui a servi à poser les bases et d'insister sur les points qui me sont chers. 

Semaines 2-7
Les semaines suivantes, j'ai poursuivi sur cette lancée. C'est-à-dire d'insister sur les deux principes édictés en gardant le mercredi matin (2 périodes) pour amener le matériel numérique.
La répétition a permis aux élèves qui n'avaient pas réussi à se connecter (2 sur 15) ou complété leur profil et la 1re compétence, cela leur a aussi permis de prendre l'habitude de se connecter. En effet,  après une semaine, ils étaient nombreux à avoir oublié l'URL de Sqily, leurs identifiants, etc. Après quatre semaines, je pouvais donner les portables et ils se connectaient tous sans peine. À noter que pour les élèves, le mercredi est devenu un moment de réjouissance, bien que parfois, ils n'utilisaient le matériel que quelques minutes. À cette occasion, je leur montrais également le contenu théorique (dans le descriptif) en même temps que je faisais le lien avec leur livre de référence "l'aide mémoire". Une fois, j'ai complété en prenant une photo d'une synthèse écrite par un élève au tableau. Pour moi, c'est important qu'ils puissent s'identifier au contenu sur Sqily.

C'est à peu près à ce moment que j'ai pu donner le premier brevet. En repérant un élève en avance, je lui ai donné la fiche que j'avais préalablement imprimée. Il lui a fallu deux essais et quelques corrections, mais il a démontré sa maîtrise. Une fois validé, j'ai annoncé à la classe qu'elle pouvait maintenant se tourner vers ce nouvel expert. Il a réagi fortement à cette valorisation. J'ai pu l'observer par sa grande participation.
Au niveau informatique, j'ai dû moi-même prendre la photo et dû transférer le fichier par message privé qu'il m’a envoyé pour validation sur Sqily. La procédure n'était pas idéale et la 5e semaine, j'ai apporté les iPad pour que les élèves puissent faire directement la photo. Cela a permis à cet élève de déposer son propre brevet:

Premier brevet de la communauté créé par un élève

Bien sûr, il est relativement proche du brevet que j'avais proposé. Mais il a tout de même dû préparer un corrigé. J'ai de mon côté imprimé copies pour qu'il puisse les donner à ses camarades. C'est en général ma limite supérieure pour encourager chacun à créer des brevets et éviter qu'un seul brevet valide la classe entière. J'ai rapidement dû en imprimer d'autres. Comme c'est le début, il n'y avait en effet que trop peu de brevets disponibles et l'élève en question m'a demandé de nouvelles copies.
A ce propos, j'ai dû intervenir quelques fois pour rappeler le côté formatif du brevet. Leur dire qu'ils devaient le faire en condition de test, seuls et sans aide, dans un temps raisonnable, soit environ 15 minutes. Que s'ils n'y arrivaient pas, ce n'était pas grave. Mais que l'expert devait les aider. J'ai vu aussi au niveau des exercices qu'ils avaient encore le réflexe dans les premières semaines de copier les réponses. Là encore, j'ai pris le temps presque à chaque période pour rappeler qu'ils faisaient les exercices pour eux (pas pour le prof ou les parents) en les félicitant de faire des erreurs, car c'est comme cela qu'ils apprendraient. J'en suis allé avec ma 2e petite citation qui se veut aussi rappeler l'importance de l'apprentissage actif:

La connaissance s'acquiert par l’expérience, tout le reste n'est que de l’information.
Albert Einstein
J'ai constaté que c'était acquis lorsque certains élèves ont fait la remarque à leur camarade lorsqu'il a essayé de recopier un exercice.

Après 5-6 semaines, j'estimais les élèves prêts à y'aller pour le test significatif. Nous avons plusieurs classes en parallèle. Malheureusement, ma classe était la seule prête. Moi qui croyais avoir pris trop de temps! En effet, nous aurions dû proposer ce 1er test il y a déjà une semaine. De plus, certains concepts, comme la décomposition de nombres premiers n'étant pas "à l'examen", les collègues ne désiraient pas la tester. Je l'ai bien sûr laissé dans les brevets, mais signifié aux élèves qu'elle serait absente du test sommatif. Les résultats ont été très concluants.

Après le test, j'en ai profité pour travailler avec les iPad sur l'application Geogebra puisque nous avons commencé un nouveau bloc. Les élèves ont appris le fonctionnement de base et ont pu déposer une première création d'un exercice où ils devaient suivre une marche à suivre:

parallèles et perpendiculaires à une distance donnée

Là encore, le fait de déposer leurs travaux (dans le fil de la compétence) leur permettait de parfaire leur maîtrise des outils numériques et de s'approprier Sqily avec du contenu personnel.

Le bilan sur ces premières semaines est très positif. Les élèves ont le sourire et s'impliquent, ce qui me donne encore plus d'énergie pour m'investir à mon tour. La seule inquiétude pour laquelle je suis habitué à résister, c'est la pression d'un programme à tenir. 😉